Carole Lombard et Jack Benny dans une scène de To be or not to be

Carole Lombard (à gauche) et Jack Benny (au centre),
respectivement "premier rôle féminin" et "premier rôle masculin"
de To be or not to be

Ernst Lubitsch

Ernst Lubitsch

Lubitsch appartient à la toute première histoire du cinéma et fait partie de ceux qui l’ont hissé au rang d’art.

Né en 1896 en Allemagne, il a d’abord été acteur-metteur en scène de comédies, sortes de "pochades" comparables aux films des "comiques" américains. Convaincu que le cinéma devait s’affranchir de son héritage théâtral, et plein d’ambition, il par la suite a contribué à faire du cinéma allemand l’un des tous premiers au monde, avant qu’il ne devienne l’outil de propagande que les nazis en ont fait.

Carole Lombard

La belle, spirituelle et… coquette Carole Lombard

Il quitte l’Allemagne pour Hollywood, comme beaucoup d’artistes du cinéma, empêchés de travailler s’ils ne se soumettent pas à la propagande nazie et menacés sur leur propre personne. Il participe à l’avènement du parlant, de la comédie musicale, avant de laisser à l’histoire parmi les plus grands films de "vrai" cinéma jamais réalisés. On retiendra de lui quelques purs chefs-d’oeuvre : Trouble in Paradise (Haute Pègre), The Shop around the corner (Rendez-vous), Ninotchka (qui sont ses trois films préférés), To be or not to be (Jeux dangereux) et Heaven can wait (Le Ciel peut attendre). Après Heaven can wait, des problèmes de santé l’écartent des plateaux. Il reviendra au cinéma quelques années plus tard, pour deux films-testaments, peut-être un peu discutables, du moins quant à leur envergure et à leur ambition, mais délicieux, faits "pour le plaisir" sans aucun doute, et sans la moindre idée de postérité derrière la tête. Mais la patte de Lubitsch est là : humour, rythme, émotion : Cluny Brown (la Folle Ingénue) et That Lady in Ermine (la Dame en manteau d’hermine). Il est d’ailleurs étrange que quelques grands metteurs en scène nous aient laissé comme testament artistique des oeuvres plus légères que celles auxquelles ils nous avaient habitués (Hitchcock, Satyajit Ray, par exemple), sans doute le syndrome Verdi (avec Falstaff).

Lubitsch, travailleur infatigable, a fait tourner les plus grands acteurs de son époque, pour la plupart oubliés maintenant. Du côté des femmes, Henny Porten, Pola Negri, Asta Nielsen en Allemagne, Norma Shearrer, Mary Pickford, Carole Lombard, Claudette Colbert, Jennifer Jones, Gene Tierney, et surtout les deux grandes immortelles, Marlene Dietrich et Greta Garbo. Du côté des hommes, le grand Emil Jannings, sans doute le plus grand acteur allemand de tous les temps, Adolphe Menjou, Gary Cooper, Melvyn Douglas, James Stewart, Don Ameche, Charles Boyer. Et l’un des plus grands couples de comédies musicales, Jeanette Mconald et Maurice Chevalier. Que les oubliés me pardonnent, comme la spirituelle Miriam Hopkins… On voudrait tous les citer, tant ils ont apporté, du plus grand au plus petit rôle, leurs plus belles qualités d’acteurs aux films de Lubitsch.

Jack Benny

Jack Benny, en Hamlet

"To be or not to be" est sans doute la plus célèbre réplique shakespearienne. Elle est tirée d’Hamlet, cette tragédie dont le héros est le jeune prince Hamlet dont le destin sanglant tourne autour de la vengeance de son père, le roi du Danemark, assassiné. Il s’agit d’une pièce ambitieuse et longue, dont l’un des ressorts dramatiques est la question "Hamlet est-il ou n’est-il pas fou ?". Beaucoup de sang et de cruauté dans pièce, comme le voulait le goût de l’époque (que l’on songe à "Dommage qu’elle soit une putain" de John Ford, ou à Titus Andronicus du même Shakespeare). Mais Hamlet, comme toutes les pièces de Shakespeare, n’est pas seulement une pièce sanglante : il y souffle le génie shakespearien de la première à la dernière replique. C’est une pièce, bien sûr, difficile à monter, surtout par des cabotins. To be or not to be est l’histoire d’une de ces mises en scènes ratées…

… une mise en scène qui se déroule à un moment particulier de l’histoire de la Pologne, au moment où Hitler envahit ce pays et va l’utiliser comme son pire champ d’atrocités. Le mystère de la situation réelle en Europe, les cruautés de l’occupation allemande, vis-à-vis de toute la population et surtout vis à vis de la population juive, tout cela, du fait d’une solide propagande et des médias tenus d’une main de fer, transpiraient peu d’un lieu à l’autre. Les Américains ne savaient pas ce qu’il se passait : les dirigeants savaient et se taisaient, les juifs émigrés craignaient le pire, mais l’opinion publique ne connaîtra l’étendue de l’horreur qu’à la Libération.

Felix Bressart

Felix Bressart, le plus court chemin du rire aux larmes.

C’est dans ce contexte qui frôle toujours le drame que toute la profondeur du génie et de l’humour de Lubitsch prend toute son envergure. Humour juif, où l’on rit pour ne pas pleurer. On voudrait tout citer : le cabotinage des acteurs (Jack Benny, irrésistible en Hamlet démodé et décalé, trop âgé pour le rôle), l’incroyable légèreté de Maria Tura (elle veut jouer la prisonnière de camp de concentration en robe du soir… et flirte avec un officier d’aviation pendant que son mari est sur scène), le faux Hitler démasqué par une petite fille (et d’abord, que ferait un végétarien comme l’était Hitler devant un magasin de charcuterie, de "delikatessen" cachères qui plus est ?), la bêtise du colonel Erhardt, chef de la Gestapo, imbu de son importance mais lâche au fond, le sacrifice, dont la gravité ne se révèlera que bien après la sortie du film, du nouveau Shylock (merveilleux Félix Bressart que l’on avait déjà adoré dans Ninotchka, mais avec la moustache)…

Le faux-Hitler

Le faux-Hitler

Film mal aimé, scandaleux pour certains (la réplique "[Josef Tura] fait à Shakespeare ce que nous faisons à la Pologne" a scandalisé beaucoup de monde), film maudit (la belle et spirituelle Carole Lombard mourra dans un accident d’avion avant la sortie du film, et une réplique finale, "que peut-il arriver en avion ?" sera coupée in extremis), il reste le plus émouvant, le plus étourdissant de Lubitsch, avec ses rétablissements de situation inespérés, sur le fil, cette intelligence des caractères humains et de leurs faiblesse, mais toujours traitées avec beaucoup de tendresse (même le colonel allemand n’est pas totalement antipathique…). Et surtout ce rythme, ces "gags" tout en finesses aussi nombreux que les coups de poings dans un film d’action, un rythme aussi décapant que dans un film d’action, mais qui fait travailler les petites cellules grises et non l’adrénaline.

Carole Lombard

(Une autre photo de Carole Lombard, pour le plaisir des yeux)

Les films de Lubitsch sont édités au compte goutte, et certains DVD d’occasion atteignent des prix élevés. Il faut compter sur les irrégulières rééditions, mais les films de Lubitsch les plus connus sont généralement disponibles à des prix raisonnables, pour peu que l’on "fouille" un peu :

To be or not to be (Jeux dangereux) peut être commandé chez Amazon sous les liens suivants : Edition « Studio Canal Classics », en français, anglais, sous-titres français
Edition « Studio Canal Classique », en français, anglais, avec sous-titres français et quelques « bonus »
Coffret 2 DVD, avec un autre films de Lubitsch, Illusions perdues, en français uniquement
En anglais uniquement, édition « Films sans frontières »
En DVD zone 1, anglais avec sous-titres anglais, français et espagnol

Autres films de Lubitsch :

Ninotchka, avec Greta Garbo, en anglais, français et italiens, avec nombreux sous-titres disponibles

The Shop around the Corner (Rendez-vous), en français et anglais, avec sous-titres français, anglais et espagnol

Le Ciel peut attendre, en anglais, allemand et italien (français en sous-titres uniquement)

La Folle ingénue, avant dernier film de Lubitsch, en anglais avec sous-titres français